Marie-Odile Andrade                                                                                    Verso     octobre 2000

 

À la recherche de l’ancolie.

Longtemps Annie Bascoul a fréquenté les anges et apprivoisé les animaux.

Longtemps elle a brodé, peint, écrit, cousu la toile et le tissu autour du mot amour. Il y a eu des voiles et des robes, des draps et des oreillers, et même des lits ; puis des assiettes et des plats, tout un cérémonial, une mise en scène pour les plaisirs de la bouche, ceux du corps. Sont venus quelques livres toujours conteurs d’histoires de cœur. Et puis un jour, l’amour, l’ange, l’animal ont cédé la place à l’ancolie.

Dans le florilège des histoires naturelles qui l’inspirent, Annie Bascoul aurait pu cueillir l’agapanthe, ou l’amaryllis. Est-ce le hasard si l’ancolie, modeste fleur discrète et fragile, a pris racine dans son imagination et ses fantasmes ? Non. Le hasard n’a pas sa place dans une œuvre qui ne lui a jamais rien cédé. Tous les clichés de l’amour ont été abordés, avec à la fois une gestuelle et une minutie implacables. Tous les mots de l’amour ont été dits, dans une calligraphie au dessin (au dessein ?) prémédité : broderie, mine de plomb, fil de fer, fil de laiton.

L’apparition de ces installations, quelquefois très grandes, quelquefois petites, est à l’évidence une réussite esthétique. Formes légères et blanches, ballerines suspendues dans un envol gracieux ou lovées au sol dans un repli délicat, c’est beau jusqu’au vertige. Si l’on s’en approche, ces ancolies, comme auparavant les autres images, donnent, dit Annie Bascoul, « davantage à voir que leur apparence ». Un parfum un peu vénéneux captive le promeneur engagé dans ce jardin déconcertant.

L’ancolie, raconte son origine latine aquilegia, recueille l’eau au creux de sa coupelle profonde. Fraîcheur, pureté, mystère de ces quelques gouttes celées comme au creux d’une main dont les pétales seraient les doigts, car l’ancolie est aussi appelée fleur en doigts de gant, ou digitale. La digitale n’apporte-t-elle pas également un remède et un poison ? Et ces nectaires qui s’y logent secrètent le nectar, boisson de l’immortalité pour les dieux, boisson des délices pour les amants. Élixir défendu, philtre dangereux. Calice de substances aphrodisiaques ou hallucinogènes, la fleur est rarement innocente, et son symbolisme souvent ambigu. Les doigts de gant de l’ancolie ont inspiré ces gants de fée, impalpables et presque invisibles : les enfiler, c’est prendre un risque. Piège empoisonné comme la tunique de Médée, ou protection magique ? 

Cette fée si absorbée à son ouvrage a ouvert la porte d’un jardin où il faut abandonner toutes certitudes. Éphémères, immaculées, ces fleurs accrochées entre réalité et rêve, entre fascination et inquiétude, rassemblent en un bouquet subtil l’éternelle poésie de la beauté et du mystère.